Je suis né Jiang Jià. Comme des millions de mes frères.

J'aurais dû mourir Jiang Jià. Mais la vie en a décidé autrement.

En sortie de cuve, mon rôle a été de travailler dans les exploitations fructueuses de sèves de MonSoon. J'aurais pu y passer ma vie. J'aurais dû y passer ma vie si Yã Lono Jung-Su, le dernier né de la puissante famille Jung-Su, n'avait pas été un parfait déchet. Décadent et empêtré autant dans l'addiction que dans des pratiques moins avouables, il avait vu son argent de poche largement amputé (une histoire d'éviction du conseil d'administration et un gel des dividendes, quelque chose dans ce goût là. Je ne m'y suis jamais vraiment intéressé).

Vendre quelques Jià comme main d'oeuvre aux vaisseaux marchands, soudoyer des officiers peu regardants contre quelques biens illicites puis absorber les effectifs manquants dans les pertes usuelles des fermes de sève. Rien de très compliqué pour un aristocrate en manque.

J'ai fait partie des meubles vendus.

Mon passé d’agro-ingénieur intéressait assez peu mes nouveaux propriétaires. Mes premières années après MonSoon ne furent qu’une suite de poste de manutention dangereux. De vaisseaux en vaisseaux. Entretenir les réacteurs. Entretenir la coque des vaisseaux. Réparer les équipements extérieurs. Ma “famille” s'est réduit au fur et à mesure des mois qui s'écoulaient. Nous étions dispersés. Ou bien tués à la tâche.

Finalement, j'ai échoué sur Keid. Sans maître. Comme un bien confisqué suite à un contrôle de douane qui a mal tourné. Perdu dans un univers que je ne connaissais pas. J'y ai appris à vivre par moi-même. A comprendre que ma vie, aussi courte fut-elle, avait un sens. A avoir des choix.

Aussi futiles et insignifiants fussent-ils.

Mon premier emploi en tant qu'individu n'avait rien à envier aux précédents. Après tout, la manutention dans les conditions extrêmes, c’est tout ce qu’on me proposait. J'ai donc été recruté sur le Scion Stardust pour entretenir les équipements extérieurs. C'est là que j'y ai fait une rencontre qui allait changer ma vie: celle du Capitaine Suno Lois.

La manutention n’a jamais fait partie de mes attributions. J’ai toujours détesté ça. Je savais me débrouiller avec un scaphandre, je n’hésitais pas à me mettre en danger pour accomplir mon job (avec le recul, je pense que j’étais déjà accro à l’adrénaline), si bien que je faisais des choses que d’autres refusaient. Mais c’est à peu près tout.

La cuve m’avait enseigné d’autres choses. Les flux de données, les programmes, les algorithmes. Ca c’était ma voie. Il m’arrivait régulièrement de fureter dans les fichiers de mes navires, pour y collecter des données à revendre – de quoi arrondir mes fins de mois. Et aussi chercher mes frères, garder une trace de mon passé. C’était stupide, mais j’en avais besoin – avec cette idée un peu saugrenue que sans racine, il est plus facile de perdre pied.

C’est là que je les ai remarqué. Des modifications sur les registres des points de saut. Discrètes mais réelles. Au prochain saut, nous aurions cru arriver dans le système Phaeton en vain, les coordonnées pointant vers un obscur secteur fantôme. Avec un comité d’accueil à la clef, qui sait ? J’ai corrigé le registre, remonté la piste, croisé les données et trouvé la taupe au sein de l’équipage. J’aurais pu en rester là ou le faire chanter. Conscient que j’avais une carte à jouer, j’ai préféré en informer le capitaine.

Ce qui aurait dû être mon dernier voyage a été quelque part mon premier pas vers une nouvelle vie. Suno Lois m'a alors pris sous son aile et devenant une sorte de mentor. Le vieux capitaine avait des choses à transmettre et une jeune tête attentive pleine d'ambition pour recevoir son enseignement.

Nous avons voyagé deux années standards ensembles, l'éridien me confiant toujours plus de responsabilités. Lorsqu'une opportunité professionnelle s'offrit à lui - un poste d'administrateur au sein d'une gypsie sur Keid - Suno Lois me fit un dernier cadeau: une recommandation au poste de second sur l'Adamant Blowfish. Sans son poids, une telle promotion aurait été impossible. Surtout pour un Jià.

J'ai pris son patronyme comme nom de famille. Bien qu'il l'ignore. Je ne suis plus un Jiang Jià. Je suis quelqu'un.

informations confidentielles